

Les Afghans chassés d'Iran, de retour avec "rien du tout"
Sous un soleil de plomb, dans la poussière de la frontière rocailleuse entre l'Iran et l'Afghanistan, la fratrie Shademani s'accroche à ses valises, dernier vestige d'une vie rayée d'un trait par leur expulsion vers leur pays désormais aux mains des autorités talibanes.
Au milieu des milliers de migrants afghans qui traversent aujourd'hui le poste-frontière d'Islam Qala, Hajjar Shademani et ses trois frères et soeurs racontent à l'AFP le raid de la police à leur domicile de Chiraz avant d'être reconduits de force dans un pays qu'ils n'avaient jamais vu.
Il y a 40 ans, leurs parents fuyaient le début de décennies de guerre en Afghanistan pour s'installer dans la République islamique voisine.
Mais "l'Iran ne nous a jamais acceptés", dit à l'AFP Hajjar, 19 ans, qui se demande désormais ce qu'elle va devenir dans un pays "où nous n'avons rien du tout".
Surtout, la jeune femme sait qu'avec ce retour, elle a perdu un droit précieux: celui d'étudier dans le seul pays au monde qui interdit les filles d'aller à l'école au-delà de 12 ans.
"J'adore étudier", lance-t-elle, pas peu fière, en anglais. "Je voulais vraiment continuer mais je crois que je ne peux pas en Afghanistan".
Sa présence, comme celle de nombreuses femmes portant le voile à l'iranienne et d'enfants et d'adolescents en habits occidentaux plutôt que le shalwar qameez traditionnel revenu en force avec les autorités talibanes, est une nouveauté à Islam Qala.
- Cartons et téléphone cassé -
Avant, ici, à la pointe de la province occidentale d'Hérat, passaient plutôt des jeunes hommes seuls: à la recherche d'un travail en Iran, empruntant les chemins de la contrebande ou de retour après expulsion.
Mais désormais l'ONU s'inquiète d'une "tendance nouvelle et préoccupante": deux fois plus de familles afghanes ont été expulsées par Téhéran en mai qu'en avril. Et alors que jusqu'à présent le pays forçait au retour des jeunes hommes en majorité, il expulse désormais des familles.
Aujourd'hui, le rythme s'accélère encore alors qu'approche la date butoir fixée par l'Iran pour le départ de "quatre millions d'Afghans illégaux" - dimanche prochain.
Du 21 au 28 juin, 131.912 Afghans ont traversé la frontière, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Et "691.049 retours, dont 70% forcés" ont eu lieu depuis janvier.
Aucun des Afghans de retour rencontrés par l'AFP n'a évoqué la récente guerre déclenchée par Israël en Iran comme raison pour le départ. Tous en revanche parlent des pressions et des arrestations visant les Afghans qui, comme dans l'autre pays voisin, le Pakistan, sont régulièrement accusés de tous les maux.
Yadullah Alizada, qui a été arrêté, jeté en centre de détention et descend désormais d'un bus en Afghanistan, n'a rien eu le temps de prendre avec lui.
A 37 ans, celui qui était encore récemment journalier en Iran n'a plus que les habits qu'il porte et un téléphone cassé pour tenter de contacter sa famille toujours en Iran.
"Mes trois enfants sont là-bas, ils sont malades et ne savent pas comment venir ici", se lamente cet homme, décidé à dormir sur des cartons à Islam Qala jusqu'à ce qu'il trouve le moyen d'amener ses enfants.
- "Aucun homme pour travailler" -
Son unique espoir désormais? Trouver un travail dans sa province de Daikundi, dans le centre de l'Afghanistan. Une gageure dans un pays où pauvreté et chômage ne cessent de gonfler alors que les autorités, qu'aucun pays au monde ne reconnaît, ont perdu la grande majorité de l'aide qui était versée à la République renversée.
Samedi, le vice-Premier ministre afghan Abdul Salam Hanafi est venu à Islam Qala promettre qu'"aucun Afghan ne sera privé de ses droits en Iran" et que les biens confisqués ou abandonnés seraient rendus aux migrants expulsés.
Depuis le début de l'année, plus d'un million d'Afghans sont revenus au pays, chassés d'Iran mais aussi du Pakistan.
Dans ce contexte, les agences onusiennes et les ONG se disent désemparées: elles ont perdu une bonne partie de leurs fonds alors même qu'elles anticipent que jusqu'à six millions d'Afghans pourraient être forcés de quitter les deux pays.
A Hérat, chef-lieu de la province éponyme, l'OIM parvient à peine à distribuer un repas chaud, offrir une nuitée et une aide pour un nouveau départ aux plus vulnérables.
Mais cela est loin de suffire pour Bahara Rashidi, 19 ans, partie en Iran avec ses huit soeurs à la mort de leur père. Là-bas, elle travaillait pour nourrir toutes ces bouches mais ici, dit-elle, "nous n'avons aucun homme dans notre famille qui pourrait travailler".
"Nous n'avons ni maison ni argent, nous n'avons rien du tout".
A.Dupuis--PP